2006

L’éternel retour de la rencontre

por Ailton Krenak

Cette capacité de projeter et de construire une interférence dans la nature est une merveilleuse nouveauté que l’Occident nous a apportée; mais elle déplace la nature, et ceux qui vivent en harmonie avec la nature, vers un autre lieu qui est en dehors du Brésil. Une autre rive, c’est une autre rive de l’Occident lui-même, c’est une autre rive où prennent place les idées d’Occident, de progrès, de développement.

Parler du contact entre nos cultures, entre nos peuples, serait, je crois, une bonne occasion de rapporter quelques-uns des récits anciens de beaucoup de nos traditions, issues des différentes tribus qui vivent aujourd’hui dans cette région de l’Amérique que nous identifions comme le Brésil, mais qui, naturellement, bien avant d’être identifiée comme cette région géographique du Brésil, avait déjà une histoire. Les archives de cette mémoire, de cette histoire, proviennent des récits faits en environ cinq cents langues différentes, rien que de l’Amérique du Sud. Ces récits datent des XVIIe et XVIIIe siècles, ils sont dans des langues dont les peuples n’existent plus. Depuis le XVIIIe siècle, ils ont été recueillis par écrit en allemand, en anglais, et ont répandu en Europe des récits importants portant sur la création du monde, les événements qui ont donné origine aux sites sacrés, où chacun de nos anciens peuples a vécu dans l’Antiquité et continue à vivre encore aujourd’hui. Je m’étonne de voir que ces textes ont été diffusés en plus de cinq cents langues et pendant près de trois à quatre cents ans, comme ce texte très important qu’est le Chilam Balam. Le Chilam Balam est un texte sacré, qui a autant d’importance pour les Maya que les textes sacrés de la culture de l’Occident, comme la Bible ou le Coran. Ce sont des textes fondateurs de la tradition et de la mémoire – utérus de l’être social, de l’histoire, du monde, de la réalité environnante de chacune de ces anciennes traditions – , et mon étonnement est du au fait que meme diffuses depuis si longtemps, la plupart des gens continue à ignorer ces sources de notre histoire ancienne.

Comment s’est faite cette histoire du contact entre les Blancs et les peuples anciens de cette partie de la planète? Quelles ont été nos relations tout au long de ces presque cinq cents ans? Est-ce que le temps est différent pour chacune de nos tribus ainsi que la notion même de ce contact?

Dans chacun de ces récits anciens il y avait déjà des prophéties sur l’arrivée des Blancs. Ainsi, quelques-uns de ces récits, datant d’il y a deux, trois, quatre mille ans, parlaient déjà de la venue de notre autre frère, toujours en l’identifiant comme quelqu’un qui était sorti de notre vie commune, sans que nous sachions où il était. Il est parti très loin et a vécu loin de nous pendant plusieurs générations. Il a appris d’autres technologies, développé d’autres langages et a appris à s’organiser de manière différente de la nôtre. Et dans les récits anciens il apparaissait comme quelqu’un qui revenait chez lui, mais on ne savait plus ce qu’il pensait ni ce qu’il cherchait. Même s’il était toujours annoncé comme un visiteur qui revenait à la maison, nous ne savions plus exactement ce qu’il voulait. Ceci est présent dans tous les récits, nous rappelant toujours la prophétie, ou la menace, de l’arrivée des Blancs et, en même temps, la promesse de relations, de la rencontre de ce frère ancien. Dans les textes les plus anciens, dans les récits qui ont été recueillis, ou encore dans les récits d’aujourd’hui, de nos parents dans le village, dès que les vieux parlent, ils commencent leur récits en nous rappelant les Blancs soit dans la langue de mon peuple, dans laquelle nous les appelons Kraí, soit dans la langue de nos autres frères comme les Yanomami, qui les appellent Nape. Et aussi bien les Kraí que les Nape apparaissent toujours dans nos récits marquant une opposition constante dans le monde entier, non pas seulement ici dans cet endroit d’Amérique, mais dans le monde entier, signalant la différence et les aspects fondateurs de l’identité propre de chacune de nos traditions, de nos cultures, et nous montrant le besoin pour chacun de nous de reconnaître la différence existant, la différence originelle, dont chaque peuple, chaque tradition et chaque culture sont porteurs et héritiers. Ce n’est que lorsque nous réussirons à reconnaître cette différence non pas comme un défaut, ni comme une opposition, mais comme une différence de la nature propre à chaque culture et à chaque peuple que nous pourrons avancer un peu sur notre reconnaissance de l’autre et établir une coexistence plus vraie entre nous. Les faits et l’histoire récente de ces derniers cinq cents ans ont montré que le temps de cette rencontre entre nos cultures est un temps qui arrive et se répète tous les jours. Il n’y a pas eu une rencontre entre les cultures des peuples de l’Occident et la culture du continent américain à une date et à un temps précis que l’on puisse fixer en 1500 ou en 1800. Nous vivons toujours ce contact. Si, il y a cinq cents ans, quelques bateaux sont arrivés sur nos côtes avec les premiers voyageurs, les premiers colonisateurs, ces mêmes voyageurs sont en train d’arriver encore aujourd’hui aux sources de nos rivières en Amazonie. De temps en temps, la télévision ou un journal montre une expédition qui entre en contact avec un peuple que personne ne connaît, comme cela s’est passé récemment avec le survol en hélicoptère du village des Jaminawa, un peuple qui vit à la naissance du Rio Jordão, à la frontière du Pérou, dans l’État brésilien de l’Acre. Les Jaminawa n’ont pas encore été abordés, ils continuent à parcourir les forêts du haut Juruá, un endroit où les Blancs ne sont arrivés qu’aujourd’hui!

Nous pourrions donc affirmer que pour les Jaminawa l’année 1500 n’est pas encore arrivée. S’ils réussissent à traverser ces frontières, à monter les collines où se séparent les cours et à passer du côté du Pérou, leur année 1500 n’arrivera que vers 2010. Je voudrais, alors, partager avec vous cette notion que le contact entre nos deux cultures différentes a lieu tous les jours. A l’intérieur de ce long événement qu’est l’histoire du Brésil, le contact entre la culture occidentale et les cultures de nos tribus a lieu tous les ans, tous les jours et, en certains cas, il se répète avec des gens qui ont rencontré des Blancs, ici sur la côte, il y a deux cents ans, sont allés se réfugier à l’intérieur du pays, et n’ont rencontré à nouveau des Blancs que maintenant, dans les années 1930, 40, 50 ou même dans les années 1990. Ce grand mouvement dans le temps et aussi dans la géographie de notre territoire et de notre peuple exprime une manière propre à nos tribus d’être ici dans ce lieu.

TERRITOIRES TRADITIONNELS

Le territoire traditionnel de mon peuple va du littoral de l’État d’Espirito Santo jusqu’aux cordillères du Minas Gerais, entre les vallées du Rio Doce et du São Mateus. Quoique aujourd’hui nous n’ayons qu’une petite réserve sur le moyen Rio Doce, quand je pense au territoire de mon peuple, je ne pense pas a cette réserve quatre mille hectares, mais au territoire où notre histoire, les contes et les récits de mon peuple allument des lumières sur les collines, dans les vallées, nommant des lieux et identifiant dans notre héritage ancestral le fondement de notre tradition. Ce fondement de la tradition, ainsi que le temps du contact, ce n’est pas un commandement ou une loi que l’on suit, en se reportant au passé, il est vivant comme la culture, il est vivant comme est dynamique et vivante n’importe quelle société humaine. C’est ce qui nous donne la possibilité d’être contemporains les uns des autres, alors que quelques-unes de nos familles allument encore le feu en frottant des bouts de bois sur le terrain devant la maison ou dans la maison, ou un chasseur, en se déplaçant dans la forêt, fait aussi son feu de cette manière – durable.

Cette simultanéité que nous avons l’occasion de vivre est une richesse très spéciale et l’un des nos plus grands trésors. Le professeur Darcy Ribeiro avait l’habitude de dire que le plus grand héritage que le Brésil a reçu des Indiens n’a pas été à proprement parler le territoire, mais l’expérience de vivre en société, notre ingénierie sociale. La capacité de vivre ensemble sans s’entretuer, en reconnaissant la territorialité les uns des autres comme élément fondateur aussi de son identité, de sa culture et de son sens de l’humanité. Cette compréhension du fait que nous sommes des peuples possédant ce patrimoine et cette richesse est la principale raison pour laquelle je me consacre de plus en plus à la connaissance de ma culture, la tradition de mon peuple et la reconnaissance aussi, dans la diversité de nos cultures, de ce qui éclaire à chaque époque notre horizon et notre capacité, en tant que sociétés humaines, de nous améliorer, car s’il y a une chose que tout le monde veut, c’est s’améliorer. Les Indiens, les Blancs, les Noirs et les gens de toutes les couleurs et de toutes les cultures du monde souhaitent s’améliorer.

LE CONTACT ANNONCÉ

Dans l’histoire du peuple tikuna, qui vit sur les rives du rio Solimões, à la frontière avec la Colombie, nous trouvons deux frères jumeaux, qui sont les héros fondateurs de cette tradition, qui étaient là dans l’Antiquité, à la fondation du monde, lorsque étaient encore en train d’être créées les montagnes, les rivières, les forêts dont nous profitons encore aujourd’hui … Quand ces deux frères de la tradition du peuple tikuna, qui s’appellent Hi-pi – le plus âgé – et Jo-i – son compagnon d’aventures dans la création du monde tikuna -, marchaient encore sur la terre et créaient les lieux, ils marchaient ensemble, et quand Jo-i avait une idée et l’exprimait, les choses se faisaient, surgissant de sa volonté. Son frère ainé veillait à ce qu’il n’ait pas d’idées trop dangereuses, et quand il s’apercevait qu’il était en train d’avoir une idée bizarre, il lui disait de ne pas la prononcer, de ne pas raconter ce qu’il était en train de penser, parce qu’il avait le pouvoir de faire se produire les choses qu’il pensait et qu’il exprimait. Alors, Jo-i est monté sur un palmier d’açaï et est resté là, en haut, très haut, et il a regardé au loin, le plus loin qu’il pouvait regarder, et son frère a vu qu’il allait dire quelque chose de dangereux, alors Hi-pi lui a dit: “Tiens, là-bas très loin arrive un peuple, ce sont des Blancs, ils viennent ici nous exterminer.” Son frère a eu très peur et lui a dit: “Écoute, tu n’aurais pas du dire cela, maintenant que tu l’as dit, tu viens de créer les Blancs, ils vont exister, ça pourra mettre longtemps, mais ils vont arriver ici sur notre plage.” Mais, une fois qu’il l’avait annoncé, il ne pouvait plus défaire la prophétie. C’est ainsi que les anciens récits, dans plus de 500 manières de parler ou de langues différentes, seulement ici dans cette région de l’Amérique du Sud, où se situent le Brésil, le Pérou, la Bolivie, l’Equateur, le Venezuela, nous rappellent que nos anciens connaissaient déjà ce contact annoncé.

Les villages des Tikuna se trouvent en partie au Brésil et en partie en Colombie. Les Guarani se partagent le territoire des frontières du Sud entre le Paraguay, l’Argentine et la Bolivie. Dans tous ces lieux, aires des colonies espagnoles, portugaises et anglaises, nos familles ont toujours reconnu dans l’arrivée des blancs le retour d’un frère qui s’en était allé il y a bien longtemps, et qui, en partant s’était retiré de l’humanité que nous étions en train de construire. C’est quelqu’un qui a beaucoup appris loin de la maison, qui a souvent oublié d’où il venait, et qui a du mal à savoir où il va.

C’est pourquoi nos ancêtres disent: “Tu ne peux pas oublier d’où tu es ni d’où tu es venu, car ainsi tu sauras qui tu es et où tu vas.” Ceci est important non seulement individuellement; mais c’est important aussi collectivement. II est important pour une communauté humaine de savoir qui elle est, de savoir où elle va. Les Blancs sont arrivés très nombreux et ils ont amené d’autres peuples, comme les Noirs par exemple. Les Blancs sont venus ici parce qu’ils l’ont voulu, les Noirs ils les ont emmenés de force. Ce n’est peut-être qu’aujourd’hui, au XXe siècle, que quelques Noirs sont venus ici, d’Afrique ou d’Amérique de leur propre volonté. Mais c’était un immense mouvement. lmaginez quel mouvement fantastique est arrivé dans les derniers trois cents-quatre cents ans, a amené ici des milliers et des milliers de gens d’autres cultures. Alors mon peuple, les Krenak, ainsi que nos frères des autres nations, nous avons reçu chaque année ces peuples qui arrivent ici, nous les voyons arriver sur nos terrains. Nous avons vu arriver les Noirs, les Blancs, les Arabes, les ltaliens, les Japonais. Nous avons vu arriver tous ces peuples et toutes ces cultures. Nous sommes témoins de l’arrivée de tous ici, de ceux qui viennent depuis longtemps, et les scientifiques et les chercheurs blancs admettent que cela fait six mille-huit mille ans. On ne peut pas voir cette histoire du contact comme si c’était un événement portugais. La rencontre de nos cultures transcende la chronologie de la découverte de l’Amérique, ou de la circumnavigation, elle est beaucoup plus ancienne que cela. Le reconnaître ne peut que nous enrichir beaucoup plus, et nous donne l’opportunité d’approfondir et d’affiner la reconnaissance entre ces différentes cultures et “manières de voir et d’être dans le monde” qui ont fondé cette nation brésilienne, qui ne doit pas être un campement, elle doit être une nation qui reconnaît la diversité culturelle, qui reconnaît les 206 langues encore parlées ici en plus du portugais. Alors, félicitations: vous venez d’un endroit où il y a des gens qui parlent plus de deux cents langues, y compris la langue borum, qui est la langue de mon peuple, et c’est une richesse de pouvoir arriver à la fin du XXe siècle et pouvoir encore toucher, partager un élément fondateur de notre culture et le reconnaître comme une richesse, un patrimoine. La rencontre et le contact entre nos cultures et nos peuples n’ont pas encore commencé et parfois on a l’impression qu’ils ont déjà terminé. Quand la date de 1500 est vue comme un jalon, les gens peuvent penser qu’ils doivent compter ce temps et le commémorer ou discuter de manière fixée dans le temps l’événement de nos rencontres. Nos rencontres se passent tous les jours et vont continuer à se passer, j’en suis sûr, jusqu’au troisième millénaire et, qui sait, au­ delà de cet horizon. Nous avons l’opportunité de reconnaître l’Autre, de reconnaître dans la diversité et la richesse de la culture de chacun de nos peuples le vrai patrimoine que nous avons; après viennent les autres ressources, le territoire, les forêts, les rivières, les richesses naturelles, nos technologies et notre capacité de structurer le développement, le respect de la nature et, surtout, l’éducation pour la liberté. Aujourd’hui nous avons l’avantage d’avoir tant d’études anthropologiques sur chacune de nos tribus, examinées par des centaines d’anthropologues qui étudient depuis les cérémonies d’adoption de nom jusqu’aux systèmes de parenté, d’éducation, d’architecture, les connaissances sur la botanique. Ces études devraient nous aider à mieux comprendre la diversité, à connaître un peu plus de cette diversité et rendre ce contact possible. Il me semble que ce vrai contact demande quelque chose de plus que la volonté individuelle, il exige un effort de la culture, ce qui est un effort pour l’élargissement et l’éclaircissement des milieux de notre culture commune qui cachent encore l’importance de l’Autre, qui cachent encore l’importance des anciens habitants d’ici, les propriétaires naturels de ce territoire. La manière dont ces gens anciens ont vécu ici a été déplacée dans le temps et dans l’espace, pour faire place à cette idée de civilisation et cette idée de Brésil comme un projet, comme qui fait le projet de Brasília là-bas au Centre Ouest y va et le fait.

Cette capacité de projeter et de construire une interférence sur la nature, c’est une merveilleuse nouveauté que l’Occident a apportée ici, mais elle déplace la nature, et ceux qui vivent harmonieusement avec elle, vers un autre lieu, qui est dans la périphérie du Brésil. Une autre rive, c’est vraiment une autre rive de l’Occident, c’est une autre rive qui contient l’idée de l’Occident, l’idée de progrès et de développement. L’idée la plus commune, c’est que le développement et le progrès sont arrivés dans ces bateaux qui ont abordé sur nos côtes; et qu’ici il y avait la nature, la jungle et, naturellement, les sauvages. Cette idée reste l’idée inspiratrice de tout le rapport du Brésil avec les sociétés traditionnelles d’ici. Alors plus qu’un effort personnel de contact avec l’Autre, il nous faut influencer de manière décisive la politique publique de l’État brésilien.

Ces gestes d’approche et de reconnaissance peuvent encore s’exprimer par une ouverture effective et plus large des espaces des médias, des universités, des centres d’études, des investissements et aussi dans l’accès de nos familles et de notre peuple à ce qui est positif, ce qui est considéré comme une conquête de la culture brésilienne, de la culture nationale. Si on continue à nous voir comme ceux qui restent encore à découvrir, et si nous continuons aussi à voir les villes et les grands centres ainsi que les technologies développées seulement comme quelque chose qui nous menace et nous exclue, la rencontre continuera à être remise à plus tard. Il y a un effort commun que nous pouvons faire, c’est la diffusion plus large de cette vision de l’importance de notre histoire, de l’importance de notre rencontre, de l’importance qu’a ce que chacun des peuples apporte avec son héritage et la richesse de sa tradition.

II n’y a presque pas de littérature indigène publiée au Brésil. On a l’impression que la seule langue au Brésil est le portugais et que la seule écriture est celle des Blancs. II est important d’assurer la place de la diversité, et cela signifie assurer que même une petite tribu ou un petit village guarani, qui ici tout près de vous à Rio de Janeiro, dans la Serra do Mar, puisse avoir la même opportunité d’occuper ces espaces culturels, en exposant son art, en montrant sa création et sa pensée, même si cet art, cette création et cette pensée ne coïncident pas avec l’idée d’œuvre d’art contemporain, d’œuvre d’art fini, pour votre vision esthétique, parce qu’autrement, vous ne trouverez beau que ce vous faites ou que vous arrivez à voir. Notre rencontre – elle peut commencer maintenant, elle peut commencer dans un an, dans dix ans, mais elle se fait tout le temps.

Pierre Clastres, après avoir vécu un peu avec nos parents nhandevá et m’biá, a conclu que nous sommes des sociétés qui s’organisent de manière naturelle contre l’État; et il n’y a pas là d’idéologie, nous sommes naturellement contre, de même que le vent qui suit son chemin, de même que l’eau des rivières suit son chemin, nous, de manière naturelle, suivons un chemin qui ne reconnaît pas ces institutions comme fondamentales pour notre santé, notre éducation et notre bonheur.

Depuis que les premiers administrateurs de la colonie sont arrivés ici, la seule chose que ce pouvoir de l’État a fait, c’est de délimiter des concessions sesmarias, de remettre des propriétés à des seigneurs féodaux, à des capitaines, d’implanter des cloîtres et des écoles comme celle de São Paulo, des forteresses comme celle de la ville d’Itanhaém. Notre espoir c’est que le développement de nos rapports puisse encore nous aider à créer des formes de représentation, de coopération, de gestion des rapports entre nos sociétés, dans lesquels ces institutions deviendront plus éduquées, car c’est une question d’éducation. Si le progrès n’est pas partagé par tous, si le développement n’enrichit pas et ne procure pas l’accès à la qualité de la vie et au bien-être pour tout le monde, alors qu’est-ce que ce progrès? Il semble que nous avions beaucoup plus de progrès et de développement quand on pouvait boire l’eau de toutes les rivières d’ici, quand on pouvait respirer tous les airs de ce pays et, comme le dit Caetano Veloso, quand quelqu’un qui était là-bas, sur la plage, pouvait tendre le bras et attraper un cajou.

Il y a une chanson de Caetano Veloso, un poème qui en parle, le natif tend son bras et prend un cajou. Mais les gens préferent, au nom du progrès, installer ces baraques avec ces panneaux lumineux et distribuer du Coca-Cola sur la plage.

LA RIVE DE L’ORIENT

Au nord du Japon, dans une île qui s’appelle Hokkaïdo, vit le peuple ainu et il y a un port qui s’appelle Nibutani. C’est un mot ainu qui nomme ce lieu, ainsi que la belle montagne à Tokyo, le mont Fuji, et qui se réfère à une histoire très ancienne du peuple Ainu, la très belle histoire d’une mère qui reste assise à attendre son fils qui était parti à la guerre et ne revenait pas. L’hiver est passé, les saisons sont passées et elle est restée là, à chanter, en attendant le retour de son fils. Son fils ne revenait pas et elle s’est mise à pleurer l’absence de son fils. Ses larmes alors ont formé cette montagne et le lac. Et tout ce beau paysage a été fait par cette mère qui pleurait son fils qui était parti à la guerre et n’est plus revenu. Les Ainu sont là à Hokkaïdo depuis il y a près de huit cents ans, peut-être un peu plus, car ils ont été obligés de monter de plus en plus haut, dans les régions les plus froides, laissant la place à d’autres peuples qui commençaient à monter. Le Japon, maintenant, à la fin du XXe siècle, est l’une des nations les plus technologiques, disons, du monde, mais ils ne peuvent pas nier l’existence des Ainu. Ils l’ont fait jusqu’à présent. Dans les années 1970, quelques Ainu ont réussi à contacter la commission de l’ONU qui traite de ces sujets et ont présenté la question au gouvernement japonais: ils veulent qu’on reconnaisse et qu’on respecte leur identité et leur culture. Donc, cinq cents ans, ce n’est rien.

Traduit par Luciano Loprete